Monthléry, le seigneur des anneaux

DSC_0478L’autodrome de Linas-Montlhéry, dans l’Essone (91), fête cette année ses 90 ans. Le circuit fascine toujours avec son immense anneau, désormais l’unique en service en Europe. Nous l’avons affronté avec une Renault 8 Gordini. Une aventure à très haute vitesse.

Textes et photos : Guillaume Nédélec 

Devant les stands ronronne une Renault 8 Gordini. Je m’installe dans l’habitacle surchauffé. La bombinette se prépare à entrer en piste. Son bleu de France et ses deux bandes blanches ont marqué l’histoire du sport automobile français. Dans les années 60, c’était la voiture de course populaire par excellence. Référence de tous les grands pilotes. Au volant, Guy, propriétaire de la « Gorde » depuis quarante ans. « Je vais mettre le chauffage, pour faciliter le refroidissement du moteur. » Sous nos casques, la sueur dégouline à grosses gouttes. Une atmosphère particulière règne sur le circuit. Un mélange d’essence et de gomme brûlée auquel s’ajoute un peu de passion et beaucoup d’histoire. « Ici, le bruit est à nul autre pareil », m’explique Pascal Pannatier, historien et passionné de Linas-Montlhéry depuis plus de quinze ans. « Avec cet anneau de vitesse, tout est décuplé, le bruit, la vitesse. Les sensations sont différentes. » DSC_0276

90 ans après sa naissance, le circuit brille toujours. Les stands, peints en blanc, arborent les grands noms de l’automobile qui l’ont fréquenté. Bugatti, Panhard et Gordini côtoient Porsche, Ferrari, Alfa-Romeo. Sur le bitûme la session démarre dans quelques secondes. Le circuit va bientôt prendre vie, son coeur est prêt à monter dans les tours. Derrière nous, le moteur rugit, faisant profiter de ses vocalises. Le drapeau se baisse. La piste est ouverte, les pneus crissent. Comme un avion, la R8 « Gorde » s’élance pour 3,4 km de folie. Nous voilà embarqués dans la longue ligne droite qui ouvre le tracé.

Devant nous, à 500 mètres, le premier virage. Celui des Deux-ponts. Une épingle à droite. « J’y ai des souvenirs incroyables, confie Igor Bietry, dernier speaker attitré du circuit. J’en ai tellement à raconter, je viens ici depuis 1983. Une fois, en essais, je me suis retrouvé sans freins au moment ou j’arrivais à ce virage. J’étais bien lancé, et impossible de m’engager dans la courbe. Heureusement qu’il y avait un dégagement derrière ! Plus poétique, je me souviens du chant d’un moteur Ferrari. La mélodie lors des rétrogradages était sublime… Un grand moment. » Les Deux-ponts ont aussi fait des victimes. L’Italien Antonio Ascari, père du champion Alberto Ascari, s’y est tué avec son Alfa-Romeo, en 1925.

Tout est très violent

Le goudron défile sous nos yeux à une allure délirante, plus de 160 km/h ! Devant, le virage grossit. Vite. Trop vite. De mon pied droit, je cherche instinctivement une pédale de frein, mais rien n’y fait. Nous fonçons irrésistiblement vers cette effrayante courbe. Guy saute enfin sur les freins. La voiture passe le virage. Cent au compteur. Tout s’est déroulé en quelques secondes. C’est maintenant mon pouls qui est à 160 ! Devant mon air incrédule, Guy tente de m’apaiser : « Le circuit de Linas comporte de gros freinages. Avec la configuration actuelle de la voiture, je dois appuyer sur la pédale plus tôt, et elle dérape moins facilement. » Me voilà rassuré. « J’ai toujours un bon freinage quand même », s’amuse-t-il. DSC_0449

À peine remis que, déjà, le virage de la Ferme nous saute au pare-brise. Une courbe à gauche qui remonte légèrement à l’extérieur. Elle est réputée casse-gueule. Je retiens ma respiration. Guy, lui, la passe en freinant à peine. Je n’ai pas regardé le compteur, trop préoccupé par le mur qui se rapproche dangereusement de ma portière. Dans la R8, ça bouge dans tous les sens. Jeté en avant, quand on freine, balancé sur les côtés dans les virages, et repoussé en arrière quand on réaccélère. Chaque passage de vitesse est comme un coup de poing. La carrosserie est un ring, il faut se battre avec la voiture. Guy, imperturbable, commente : « C’est un circuit à l’ancienne. Il n’y a pas de zones de dégagements, comme sur les tracés modernes. »

Le prochain virage en est l’exemple. L’épingle du Faye tourne à droite, légèrement en devers. Un freinage raté, et c’est droit dans le mur. « Nous n’avons pas de marge d’erreur ici », prévient Guy en me montrant la bordure, à l’extérieur du virage. À l’arrêt, elle paraît loin, mais à longueur de capot, elle n’a jamais été aussi proche. Et dès la sortie de la courbe, on plonge dans le sous bois. La voiture s’arrache brutalement du goudron, filant à travers l’ombres des chênes. DSC_0934Sur la droite, entre les bosquets, les soubassements de l’anneau se dessinent. Ils se dressent comme une majestueuse cathédrale de béton et d’acier. Il en a fallu plus de 1000 tonnes pour ériger l’édifice.

Igor Biétry avait planté le décor.« Montlhéry, c’est le dernier autodrome encore en activité. Celui de Brookland, en Angleterre a été rasé. Celui de Monza, en Italie, n’est plus utilisé. Ici règne une histoire qui ne se retrouve sur aucun autre circuit. Ce genre de piste servait et sert encore pour les tentatives des records. » En 2010, le richissime et excentrique patron de DC Shoes, le pilote Américain Ken Block, en a fait son terrain de jeu. Sa séance de dérapages filmés a été vue plus de 56 millions de fois.

Le site est magnifique, mais il faut le contempler en vitesse. Comme lorsqu’on tente de regarder un film en accéléré. Pas le temps de s’émouvoir. Déjà, une chicane s’esquisse. Un enchaînement droite-gauche très rapide qui donne sur l’anneau. Les pneus hurlent, les effluves de gomme brûlée remontent dans l’habitacle. Notre petite Renault attaque enfin ce terrible anneau et ses 51° d’inclinaison. Il se dresse comme un immense mur de béton.

Mise en orbite

Sans broncher, la Gordini escalade la piste inclinée. Tout devient alors étrange. Nous sommes tellement inclinés que le sol lèche la vitre. La force centrifuge agit. Les bras deviennent lourds, nous ressentons à peine la pente. Avec une Gordini, c’est impressionnant, j’ose à peine imaginer avec des voitures plus performantes. C’est comme si la voiture était mise sur orbite : « Dans le virage, on peut lâcher le volant, elle tourne toute seule, s’amuse Guy. En fonction de la vitesse, on monte plus ou moins haut ! » DSC_0418Mais l’envol ne se fait pas sans turbulences. Les nids de poules sont partout.

« Emprunter l’anneau ne se fait pas sans risques », m’avait averti William Pac, rédacteur en chef du journal Échappement Classic. « Une année, un des essayeurs du journal Auto Hebdo est sorti de la route ici. Il a décollé au dessus de l’anneau avec sa voiture. Il en fut quitte pour une belle peur. » Dans les années 60, Henri Oreiller, Franco Patria et Peter Linder sont, eux, passés de frayeur à trépas.

Le temps n’a pas fait de cadeaux à l’anneau.William Pac l’avait bien ressenti lors des dernières courses sur le circuit : « Le tracé a bougé, explique-t-il, le béton a travaillé. L’anneau est un véritable casse bagnoles. Les voitures de course tapaient contre la piste. Ça les détruisait, les courses n’avaient plus aucun sens. » Dès lors, ce qui faisait le symbole du circuit a accéléré sa mise au ban. Petit à petit, le tracé perd ses homologations. En 1995, la dernière course de voiture moderne a lieu. Puis en 2004 pour l’ultime grand prix de l’Age d’Or. « C’étaient de grands moments, se rappelle Igor Biétry. Les alentours du circuit étaient toujours noirs de monde. »

S’ensuit une longue traversée du désert. L’Utac ferme le site au public. Le 1924, symbole de renaissance J’imagine, depuis ma vitre, la foule qui s’amasse en contrebas . Un nouveau freinage me ramène en piste. Pour réduire la vitesse, une nouvelle chicane se présente à nous. Elle est spéciale. À son entrée, l’Utac a imaginé, en 2008, une solution pour rénover l’anneau. Sur une cinquantaine de mètres, un grande traînée grise marque le circuit dans sa largeur. « Il s’agit d’une résine que nous avons testée, pour essayer de resurfacer la piste, explique Denis Huille, directeur du circuit. Mais les résultats n’ont pas été concluants. La nouvelle surface ne tenait pas dans le temps. »

Plus que jamais, l’autodrome de Montlhéry sort de sa torpeur. « On a entendu les choses les plus délirantes à propos du circuit, précise Igor Biétry. Qu’il serait détruit ou abandonné. Depuis quelques années, il renoue avec les grandes heures de son histoire. » L’Autodrome héritage festival, les Coupes de printemps et les rassemblements de club permettent de revoir des voitures de courses emprunter, en démonstration, la piste. Un plaisir dont ne se prive pas Paul, jeune collectionneur de 20 ans et spectateur fidèle à l’Autodrome héritage festival. « Revoir ces voitures en action, sur une telle piste, c’est une belle initiative. D’autant que ça parle à plus de monde que les courses automobiles modernes. »

L’autodrome de Linas-Monthléry

L’autodrome voit le jour en 1924, l’âge d’or du sport automobile. Alexandre Lamblin, un industriel et patron de presse veut offrir à Paris son circuit, comme il en existe par exemple au Mans. Il comprend un anneau de vitesse et un tracé, dit « routier », qui se détache de l’anneau, pour un tracé plus sinueux, avant de le rejoindre. C’est celui que nous emprunterons aujourd’hui. Il accueille des compétitions automobiles, comme les Grand Prix, des courses de motocyclisme, de cyclisme. En 1928, Lamblin, ruiné doit vendre. L’armée récupère le terrain en 1938. Pendant la guerre, le site est réquisitionné. Du matériel militaire y est d’abord entreposé. Puis des Tziganes y sont rassemblés avant d’être déportés. En 1946, un laboratoire de recherche sur les transports, l’Union technique de l’automobile, du motocycle et du cycle (Utac), récupère le site, dont il est encore propriétaire.

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